Cyrielle Yenka

Il y a trois points importants qui peuvent vous donner un rapide aperçu de la personne que je suis. Le premier : je suis fille d'un loup alpha. Le deuxième : je déteste ça. Le troisième : je ne peux pas y échapper.

Mon père est le chef de meute de la ville où je réside depuis ma tendre enfance, Denhil Town. Il a eu quatre enfants, trois garçons et moi. La malédiction qui frappe ma famille ne m'a pas épargnée. Il est rare qu'elle touche les filles de loups. Je ne devais pas l'être assez pour y échapper. Chaque soir de pleine lune, inéluctablement, je me transforme en un monstre sanguinaire.
Avoir une telle ascendance a des conséquences. Tout d'abord, muter très jeune. Pour les loups non crées, c'est-à-dire, des loups qui tiennenet ça de leur parents, la première transformation a lieu une fois la puberté passée. Je n'ai surement pas besoin de vous préciser qu'elle intervient plus tôt chez les filles que chez les garçons. Moi c'est arrivé à treize ans. J'étais évidemment au courant de ce qui risquait de m'arriver, car là encore, je me repète, je n'avais que très peu de chance d'avoir le gêne lycanthrope. Mais de la chance, je n'en ai pas eu, puisque j'en ai hérité. Chaque loup a le souvenir de ce qu'il a ressenti lors de sa première pleine lune. Aucun ne pourra vous dire que cela est une partie de plaisir tant la douleur est insupportable. Imaginez alors lorsque cela se passe pour une fillette de treize ans.
Avoir un père Alpha, c'est-à-dire, le loup dominant, guide des autres, cela signifie être un chef de meute potentiel, au cas où mes frères ainés viendraient à perdre la vie et ne pourraient pas succèder à mon père.
Je ne vous parle pas alors de ce que cela implique - jamais je ne pourrais mais surtout ne voudrais tenir ce rôle, mais au cas où comme on dit, je dois être prête à en assurer la fonction - : conseils familiaux, entrainements avec mes frères pour toujours être plus performante (où je suis la cible de toutes les moqueries de mes frères puisque je suis une "femelle"), et j'en passe.

S'il y avait un moyen d'échapper à ma condition, quel qu'il soit, je ne serai plus louve à l'heure actuelle. Cependant, il n'y en a pas.
Depuis maintenant trois ans que je vis au quotidien le cycle des lunes, j'ai réalisé dans sa juste mesure le poids de la malédiction qui touche notre famille, car c'est bien le mot qui convient pour parler de cela. Certains, dont mes frères, voient cela comme un truc cool, peu commun qui change de l'ordinaire, qui met du piquant à votre vie.
Moi je considère que cela me la gâche. Avant j'étais heureuse. Mais ça c'était avant. Maintenant, je ne vis plus, je survis. J'avais des rêves, des envies, mais tout s'écroule quand vous n'êtes plus maître de votre vie, quand c'est un astre qui régit votre existence.

Alors bien sur, je passe pour la dépressive de la ville. Pensez-le aussi si ça vous chante.
Enfant, j'étais enjouée, rieuse, je me faisais une fête d'un rien, vivre était un véritable plaisir insousciant, on n'entendait que moi à la maison tant j'étais bavarde. On n'y entends plus que le silence maintenant, tout du moins, ce n'est pas moi qui alimente les conversation à table.
Je n'ai pas d'amies. Comment expliquer que ne pouvez pas venir à une soirée pyjama parce ce que vous allez vous transformer en louve entre deux films à l'eau de rose et manquer de tuer ceux qui sont près de vous ?
J'ai les nerfs à fleur de peau, au moidre agacement, je peux très vite sentir monter la colère et la transformation n'est à chaque fois pas loin. J'ai précisément ce problème de contrôle de mes mutations. Mon père a pourtant beau m'éduquer du mieux qu'il le peut, rien n'y fait. Par prévoyance, je préfère donc rester à l'écart de tout, en louve solitaire.
Alors que j'étais bonne élève, je suis désormais souvent absente, et lorsque je suis en cours, je suis bien souvent distraite, la tête ailleurs, rêvant ce qu'aurait pu être ma vie, si je n'étais pas une descendante des Yenka.
J'ai peu à peu finis par abandonner mon rêve de devenir médecin. Cela signifierait des responsabilités, trop de stress au quotidien, et l'odeur du sang deviendrait très vite un problème. Je me déçois moi-même d'avoir abandonné mes rêves, de baisser les bras par crainte de ne pas me contrôler. Je suis devenue vide, sans aucune envie, sans perspective pour ma vie future.

On le voit d'ailleurs sur mon physique. J'ai le teint fade, cireux, sans couleur. On dirait que je suis continuellement malade tant je manque de vitalité. Je ne suis pas très grande mais on remarque surtout ma minceur. Je frise souvent les limites de l'anorexie. On ne peut pas dire que je mange par plaisir, mais uniquement par nécessité. Je dois d'ailleurs reconnaître que lorsque je suis louve, je me nourris bien plus qu'en temps normal. L'instinct animal fait que je recherche beaucoup plus à me nourrir.
J'ai perdu le goût de la féminité. Si avant je cherchais à me déguiser en princesse, en me cachant dans une penderie pour essayer les robes de maman, pour me maquiller de rose, exagérant bien sur le rouge à lèvres bien rouge, pour superposer bien plus de bijoux que ce qui est appropiée, et défiler avec des talons beaucoup trop hauts pour mon jeune âge, aujourd'hui, je cherche avant tout à passer inaperçue. Ce qui désespère ma mère, car j'avais, selon ses dires, un potentiel de beauté.
Je ne me maquille pas mes yeux bleus et je ne me coiffe jamais. Mes cheveux sont raides, sans forme. Leur blondeur qui pouvait paraître jolie, donnent plutôt l'impression de filasse incolore. Ils sont évidement longs puisque je ne fréquente jamais les salons de coiffure. Lorsqu'il atteignent environ le milieu de mon dos, je me les coupe moi-même.
Pour ce qui est des vêtements, je mets ce qui est passe-partout, je ne me préoccupe en rien de ce qui est à la mode ou non. Ce qui m'importe est qu'ils soient confortables et plutôt foncés pour me fondre dans la masse.

Le seul point positif de ma transformation est que mon apparence de louve me rend aussi invisible que je voudrais l'être au quotidien. Ma robe est uniquement noire, encore plus foncée que la nuit. Lorsque je suis dans les fourrés, je suis très difficilement repérable. Mes yeux ne trahissent pas ma présence car ils sont tout aussi foncés. Je suis en cela un prétateur redoutable, qu'on ne voit pas arriver.
Ma petite taille se retrouve dans ma corpulence de louve, ce qui est source de moquerie. Je suis moins haute sur pattes que la normale et j'ai un corps très fin que l'on remarque lorsque je suis mouillée car mon pelage épaix et long me donne un peu de volume pour dissimuler mes côtes apparentes.